Un docteur de l’Église nous est donné, au moment même où les chrétiens retrouvent la force et l’actualité du Concile Vatican II. La foi et la sainteté transcendent donc le temps de l’histoire. Un demi siècle nous sépare du Concile, huit siècles de cette femme, tirée de l’ombre tout récemment, et qui, au premier regard dépasse nos attentes, en ouvrant à notre curiosité de multiples horizons.
Hildegarde, que savions nous d’elle ? De vagues conseils de médecine, des régimes très en retard sur notre alimentation sophistiquée ; à base de fenouil, de tisanes, de pyrèthre, et d’épeautre. Bien sûr, elle a ses adeptes, comme aussi ces musiciens raffinés qui nous replongent dans des tonalités et dissonances exigeant une oreille musicale exercée.
Toutefois, on est en droit de s’interroger : aux côtés de Sainte Catherine de Sienne, l’audacieuse mystique italienne, de la grande espagnole, Thérèse d’Avila, de Thérèse, la petite française, diffusant sa “petite voie” sur le vaste monde, que nous apporte la bénédictine du Rhin, et comment son enseignement et sa personnalité vont-ils trouver en nous un écho à la fois humain et spirituel ?
Deux ou trois choses que nous savons d’elle
La vie d’Hildegarde se déploie entre 1098 et 1179. On aurait pu l’imaginer vêtue de velours soyeux, de draperies, telle la Dame à la licorne… peut- être même, une tapisserie sur les genoux… les stéréotypes ont la vie dure ! Il n’en est rien. La petite Hildegarde entre très jeune au monastère, y apprend la langue intellectuelle commune (le Latin), femme douée de multiples talents, elle sera fondatrice de deux abbayes, amie éclairée de la nature, étonnante visionnaire, personnalité prophétique réveillant au sein du clergé bien des consciences assoupies ; de surcroît musicienne. Tous ses talents, mis au service de Dieu, furent une authentique application de la règle de Saint Benoît : Ora et Labora (prie et travaille.)
Deux œuvres semblent s’imposer : Le Scivias (“Connais les chemins du Seigneur”. 1151) et le Livre des œuvres divines, sans compter les 77 œuvres musicales de sa composition (1165) redécouvertes aujourd’hui et désormais interprétées.
← Représentation de la Sainte Trinité. Au centre le Christ « agneau immolé », Hildegarde voit, le moine Wolmar écrit sous sa dictée, Richardis, la religieuse, l’assiste.
Sans pouvoir entrer dans les détails, on peut rester fasciné par la grandeur des visions dont Hildegarde fut gratifiée. Elle avait accès à ce que nous pourrions appeler le monde céleste, selon ses propres termes : “en étant pleinement éveillée, avec toute mon attention, avec les yeux et les oreilles de l’homme intérieur”. Et elle nous redit dans ses propres images et symboles la totalité de la Révélation. Hildegarde, théologienne et catéchète de génie ! Tous ses propos sont illustrés, ils se gravent dans les esprits, avivant l’imagination esthétique.
Ce simple coup d’oeil nous la montrera plus proche de nous, parcourant sentiers et prairies, recensant plusieurs centaines de plantes, recherchant leur vertu propre pour le corps humain. C’est cette belle correspondance entre le cosmos et l’homme, que nos contemporains, à leur manière, voudraient bien retrouver. Si chaque plante, voire chaque pierre, est un onguent pour les souffrances du corps, la maladie n’est plus redoutable. Une harmonie fondamentale règne entre les éléments créés. Dès lors, même si notre Docteur de l’Église décrit le mal, les vices de l’âme, l’œuvre du tentateur, elle est toujours attirée par cette harmonie profonde de la création, et elle préconisera d’en faire les plus beaux chants de louange, à la gloire de Dieu.
Musique et chants à l’abbaye
Après la Chute, qui entraîna de très nombreuses transformations pour l’homme, Adam, nous dit Hildegarde, perdit la douceur et l’harmonie de sa voix qui l’apparentait aux anges. Dysharmonie (sinon désordre définitif.) L’éducation, l’apprentissage systématique de la musique, sont des moyens privilégiés pour lui faire retrouver l’harmonie première.
Prestance et beauté des mélodies ! Quête de la beauté quasi ontologique, ici bas. La psalmodie des offices liturgiques, plus encore, le rythme inégalé des psaumes, reconduit Adam à son identité première, voulue par le Créateur. (point de vue original, n’excluant évidemment pas l’affirmation du salut qui nous vient de la Croix du Christ)
Le rôle des instruments
La musique est, on le sait, fête des instruments, qui résonnent entre les mains de l’homme. Chants, cantiques, louanges, mais aussi harmonies vibrantes des accords, elle appelle le corps en sa totalité. C’est ainsi qu’elle entraîne à la danse. Étonnement pour celui qui imagine difficilement une abbesse bénédictine, entraînant ses sœurs en quelque farandole, créant des opéras avant la lettre.
En un sens,Hildegarde retrouve et nous redit l’antique acception du terme de MUSIQUE, pour les Anciens, mousiké, c’est à dire un art complet mettant en scène l’âme, le cœur, et les mouvements du corps. La louange, ou plutôt les louanges harmonieuses doivent à chaque instant entourer le trône divin.
On aime un Docteur de l’Église qui considère les instruments de musique,avec la passion d’un luthier. Orgues, cymbales, cithare, trompettes, psaltérion, chacun, en particulier rend un unique son. Réunis en concert, ils nous reconduisent à “la Symphonie des célestes révélations”.
Questions effleurées
p.s. :La médecine, dite hildegardienne, phytothérapie, écologique, est trop peu étalonnée à la mesure de nos critères scientifiques pour que l’on puisse, impunément l’évoquer, ici du moins. Il paraît certain qu’elle pourra, une fois dégagée de nos désirs magiques de santé à tout prix, nous rendre des services encore inexplorés de manière systématique.
HILDEGARDE 2013
Les lignes précédentes furent écrites peu de temps après la proclamation d’Hildegarde “Docteur de l’Église”. Elle sortait glorieusement de l’ombre, à notre grand étonnement.
Peu d’efforts furent déployés pour nous la faire connaître individuellement, l’on entreprit une quête à travers commentaires, extraits de textes, internet en dernier recours.
Le résultat ? Un kaléidoscope fascinant, une lecture éclatée, rien moins que le dessin exact d’un profil, émergé de l’ombre, mais enveloppé de grisaille. Même un Docteur a besoin de médiations, d’explications… C’est ce que nous a apporté une session de 4 jours, avec le Père Pierre Dumoulin, au monastère bénédictin de Simiane : clarté des exposés, pédagogie sans faille, alternant explications de textes, interprétations de symboles, scellés à la mentalité moderne pour certains d’entre eux. Sans initiation précise, les “miniatures” d’Hildegarde, illustrations de ses visions, parfois archaïques, parfois d’une modernité étonnante demeurent un bel album d’images, sans nous interpeller. C’est pourtant une belle… et bonne œuvre, dans laquelle on va de surprise en surprise. Faute d’une lecture guidée pour faire passer de la modernité au Moyen-Âge, et inversement, l’on peut continuer longtemps à entendre, sur notre abbesse des questions relativement figées : Hildegarde de Bingen ? “bien sûr, les recettes de cuisine, les plantes, une musique un peu New-Âge ; des écrits passionnants, parce qu’ésotériques !”
Si l’on a bien retenu les leçons d’Hildegarde, passant au crible de son inspiration chaque correspondance des éléments du cosmos, chaque lien de l’âme, de l’esprit, du corps, avec son Créateur, et avec la création, on peut bien, les prémisses posées, envisager de multiples liens unissant l’humanité, dans sa fragilité, et ses nécessaires besoins, d’une part, et les dons multiformes de la Nature de l’autre (nourriture, bienfaits des plantes, etc.)
En vérité, chaque grand texte d’Hildegarde est un point de vue original de la foi chrétienne, dans la gamme éblouissante de lumière du Dieu créateur, accueillant l’homme après la chute originelle, pour le conduire à la gloire éternelle d’un monde transfiguré. Ainsi nous parlent, en tout premier lieu, les célèbres dessins transcrits par l’entourage de celle qui “voyait”. Avec elle, il faut d’abord neutraliser nos incertitudes, puis revisiter nos certitudes.
Annick Rousseau
Merci au P. Pierre Dumoulin d’avoir accepté de relire ces textes de débutant, et à Françoise G. pour sa passion communicative des illustrations “métaphysiques” de notre tout nouveau Docteur de l’Église.
Gaby m’a envoyé le lien de cette page.
J’ai bien aimé les “désirs magiques de santé à tout prix” 😉
Je suis dans la lecture du livre du Père Dumoulin. J’avance tt doucement dans la connaissance de sainte Hildegarde avec vous et ce livre. Merci !
Cher T. d’ Aquinus, à bas les polémiques et vivent les débats constructifs ! Le nôtre, me semble-t-il, concerne plutôt la forme que le fond. Si Ste. Hildegarde place la figure humaine au centre des sphères concentriques du cosmos, c’est tout simplement qu’à l’époque le géocentrisme était une évidence : soleil, lune, planètes et étoiles tournaient autour de la terre, et donc de l’homme. Mais cette place centrale correspond aussi à une vérité de foi, que formule clairement le livre de la Genèse : l’homme, chef d’oeuvre du sixième jour, est l’achèvement de la création. Si la vie de l’homme ne s’accomplit que dans la vision de Dieu, comme le dit admirablement St Irénée : ” la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant “. Le Livre des oeuvres divines, où se trouve cette miniature, me semble aux antipodes de l’ humanisme contemporain (…aujourd’hui passablement déconstruit !) et, loin de manquer d’humilité, rappelle sans cesse au lecteur son statut de créature. Vous aurez certainement remarqué que l’univers, autrement dit la Création, est comme enveloppé par les bras de Dieu : périphérie et centre ne prennent sens qu’à l’intérieur de son espace, où le Créateur ne saurait être inclus.
Bien amicalement,
un paroissien.
Je souligne tout de même que la légende de l’image qui pose problème dans cette discussion n’est pas de l’auteur de ce coup d’œil sur lequel il n’y a que des remarques positives à faire. Les autres honorables contributeurs, même en désaccord avec moi, en conviendront assurément. T. d’A.
Je joins mes félicitations à celles de T. d’Aquinus, sans partager pour autant sa remarque à propos de la légende de la miniature, qui à mon sens exprime pleinement la pensée de Sainte Hildegarde. Dans le commentaire qu’elle donne elle-même de sa deuxième vision ( étonnante anticipation du célèbre dessin de Léonard de Vinci repris par Manpower ! ) elle affirme que « l’homme, dans la structure du monde, est pour ainsi dire en son centre ». Puisque deux docteurs de l’Eglise ne sauraient se contredire sur un point aussi fondamental, il faut pour le comprendre replacer le mot du Père Nicolas dans son contexte : si l’homme est bien au coeur du monde matériel créé pour lui, il n’est pas la seule créature intelligente, et se trouve entouré et précédé par les multitudes angéliques comme par autant de frères aînés. Je m’accorde volontiers avec T. d’ Aquinus sur l’affligeant dépeuplement que l’incroyance, en réduisant l’univers à ce que la science peut en saisit, a fait subir au cosmos médiéval, celui où vivaient Hildegarde et ses compagnes !
Bonjour “Paroissien”. Sans vouloir polémiquer pour le plaisir de polémiquer en enfler artificiellement les commentaires sur ce remarquable coup d’œil, j’aurais tout de même 2 remarques qui n’en sont qu’une. 1, Hildegarde entend-elle la même chose en parlant du “monde” et de l’univers ? 2. Si l’uni-vers (comme l’écrit le Père NICOLAS) tend “vers l’uni”, n’est-ce pas Dieu qu est au centre de l’univers Chrétien et n’est-ce pas un manque d’humilité d’y mettre l’homme ? Très cordialement, T. D’A.
Bonjour, je lis avec attention ce très beau coup d’œil. Il est parfait mais… parce qu’il faut un “mais”, je ne suis pas sûr que la légende du dessin “l’homme au centre de l’univers” corresponde bien à l’univers tel que le concevait Sainte Hildegarde. Ainsi, si j’en crois Marie-Joseph NICOLAS dans son introduction à la Somme Théologique (édition CERF, p. 50), “l’homme du Moyen-Âge habitait en réalité un univers beaucoup plus vaste et beaucoup plus divers que le nôtre.(…) Non, certes, il ne se croyait pas le centre de l’univers même matériel, bien qu’il en fût solidaire”. Que cette simple réserve ne gâte en rien mes très cordiaux remerciements pour cette belle page sur un saint docteur de l’Eglise encore trop méconnu. T. d’A.
Merci !! Enfin un commentaire sur cette grande sainte qui dépasse les simples conseils qu’on peut lire habituellement sur Hildegarde : du bon usage de l’épeautre, biscuits de la joie ou autre… J’ignorais tout le reste! Quand on est musicienne, (10 ans de piano pour ma part) on ne peut rester insensible à l’importance de la musique telle qu’elle est vécue par cette sainte : une intuition de ce que nous vivrons au Ciel ! Et l’invitation à le découvrir dès à présent.