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Coup d’œil sur… IMMENSITÉS

Cœur et chair mis à nu : une spiritualité pour notre temps ?
Un livre passionnant de Sylvie Germain


Immensités Sylvie GermainImmensités n’est pas un de ces romans-vérité où les personnages ne sont que prétextes à incarner les idées, les rêves, voire l’impossible idéal conçu par un groupe, ou un individu chargé d’écriture. Nous avons bien, ici, affaire à un roman, à de multiples histoires croisées, où vivent des êtres de chair et de sang, déchirés par de nombreux mouvements politiques, présents à chacune des pages tournées. Le héros principal, que nous suivrons, Prokop (nous sommes à Prague) nous interpelle, pourrait nous entraîner dans les tourmentes de son cœur déchiré, son nihilisme final, alors que l’auteur est, pour la plupart de ses écrits, revendiquée comme écrivain chrétien.

Qu’est-ce alors que cette spiritualité personnelle, présente à chaque moment du récit, qui évoque les thèmes de notre foi, l’amour du prochain, à travers son visage, la transparence des êtres, par delà nos lourdeurs, l’impuissance de notre chair, dans sa nudité dérisoire, puis, l’enfer même, à travers des fantasmagories poignantes ? Dieu, lui-même, présent-absent, s’infiltre d’abord dans le récit, puis disparaît, sans que l’on fasse le procès de sa non-existence. On ne signale ni tragique, ni désespérance devant son rien d’être. Il restera toujours l’immensité des petites choses de l’existence humaine. La foule des détails, des petits faits qui, fondamentalement, ouvre le temps, sinon le sens de l’humanité.

Sylvie GermainL’écriture de Sylvie Germain séduit, à mi-chemin entre prose et poésie, gorgée de saveurs, de couleurs, de lumière ruisselante, jusqu’au fond des lieux les plus sordides. Jusqu’à la dernière ligne, le titre “Immensité” nous interpelle. Il semble nous inviter à de longues promenades, larges, longues, sans limites, comme par exemple le désert ou la mer. On a compris qu’il n’en est rien. S.G ne nous provoque pas, sinon à la relecture de nos idées toutes faites. Allusion à Descartes, elle fait le travail du philosophe, (elle-même fut élève de Lévinas à l’Université). De descriptions en descriptions, d’expériences banales en expériences réfléchies, elle parvient à inverser nos croyances : l’infime, voire le grotesque est porteur d’infini, tandis que l’immense risque bien de s’évaporer, en laissant l’esprit à ses chimères.

Bien sûr, il faut illustrer ce déroulement, à l’aide de quelques passages décisifs. De plus, on pourra, par moment, insister sur l’intuition suggérée par les procédés stylistiques du roman. Que celui-ci parle bien de la spiritualité éparse des hommes de ce temps, on le vérifie par cette manière très spéciale d’aborder ce qui sort de l’ordinaire, comme de biais, par un regard latéral, jamais de face. (voir par ex l’étrange position de Prokop, au début du livre, ou le récit du chien qui rit, ou celle de la “perception” du Christ descendant en Enfer.)

Sans entrer dans les détails, nous naviguons à mille lieues des grands auteurs catholiques qui ont illustré, il y a peu la Littérature, Mauriac, Bernanos, Claudel… À mille lieues, également des auteurs ostensiblement athées, comme Sartre. Aujourd’hui, métaphysique, spiritualité, subsistent dans les cœurs, lambeaux de la Vérité à la dérive. Ils viennent déranger le quotidien, l’éclairent à demi pour disparaître sans vraiment laisser de traces.

    Première phrase :

  • « Prokop Poupa était un paria. Autrefois professeur de lettres, il avait été contraint de changer d’emploi… »
    Dernière phrase :

  • « L’immensité tremblait dans la moindre des choses, jusque dans la gadoue qui maculait le plancher du wagon. Prokop se sentait pleinement le frère de cette enfant à tête folle au cœur volage et aux pas trébuchants, l’humanité, sa sœur prodigue. »

À suivre

Annick Rousseau

1 comment to Coup d’œil sur… IMMENSITÉS

  • HM

    Merci de cette invitation à la lecture!ce Prokop là pourrait bien être le cousin sinon le frère de Prokop Voskovec, ce poète dissident tchèque …enfin il lui ressemble, ds sa quête de sens de liberté d’Immensités….
    et Ubu de pouvoir sourire, enfin. 🙂

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