L’oraison par temps de souffrance
Le Cri, célèbre toile de l’expressionniste norvégien Munch, semble renfermer en ses traits tourmentés toute la souffrance du monde, au-delà de l’angoisse terrifiante de l’homme moderne.
Les traits du visage sont déformés, écrasés de toutes parts autour de cette béance muette qui hurle à la mort. Et chaque trait qui enveloppe ce squelette vivant nous montre le monde extérieur, lui-même méconnaissable à force de bouleversements. Le malheur répondant au malheur, l’environnement semble contaminé, déformé à son tour par les ondes violentes qui émanent du visage.
À moins qu’elle n’accompagne un être depuis sa naissance (troubles ou maladies génétiques multiples), la souffrance, un jour, fait irruption dans le cours de nos vies, effiloche la trame de nos jours. Tout était « normal », possible à assumer ; nous avions la possibilité d’exister sans trop de soucis, d’être en bonne intelligence avec nos proches, nous-mêmes, notre corps, nos émotions.
Chacun connaît les antiques proverbes selon lesquels il y a un temps pour aimer, un temps pour semer, un temps pour croître, un temps pour souffrir. Mais tant que la quasi prédiction ne me concerne pas, elle n’existe pas pour moi.
Et pourtant, la souffrance s’installe en nous, souvent plus dramatique, plus terrible, plus angoissante que nos peurs les plus sombres n’auraient pu l’imaginer. Que ce soit en nous ou bien en nos proches, et jusqu’aux confins de la terre (guerres, haines meurtrières), nous abordons ainsi une sorte de SPHÈRE DU MALHEUR.
– Alors, ou bien l’on se rallie à la cohorte des âmes qui sont prêtes à abandonner Dieu pour le chaos, Jésus pour le destin, la foi pour la révolte.
– Ou bien l’on apprend au jour le jour à renouer les liens avec le Seigneur, à lui parler dans la confiance car il s’agit bien d’un apprentissage, long, décapant, voire humiliant.
À ce moment, on perçoit la vérité de la signification du signe de la croix qui barre la personne du chrétien de la tête au cœur. Dans les larmes souvent, dans la fragilité de notre corps d’argile, sans courage grandiose, nous rendons les armes.
Pour un chrétien qui a vraiment cherché à déceler la signification ultime de sa religion, il y a toujours un moyen de continuer le chemin. Tout son être peut être douloureux ou douleur, il sait qui est son Maître et le sens de l’incarnation.
Il savait depuis toujours le prix du rachat des hommes dans et par la finitude du corps du Christ, à travers ses souffrances et sa mort.
Ce savoir est à garder en mémoire en un temps qui oublie volontiers le poids du péché, et en particulier du péché d’origine… Et nous-mêmes oublions l’approche théologique pour nous réfugier dans l’incompréhension et les récriminations. « Humain trop humain ».
C’est là que bien souvent, en deçà d’un savoir trop pesant, au moment où la souffrance nous meurtrit, nous nous confions à la Vierge Marie.
Par temps de souffrance
peut s’installer en nous,
comme un murmure permanent,
une prière mariale.
Pourquoi ?
Marie, mère de Dieu (la théotokos), couronnée Reine par le Père, le Fils et l’Esprit, honorée par les hymnes les plus belles de l’Orient et l’Occident, les poètes les plus sûrs – de saint Bernard à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus – bref, Marie n’a pas vocation unique à recueillir les confidences de nos malheurs. Dans la prière du rosaire, à travers chaque grain de chapelet qui glisse entre nos doigts, elle nous conduit à la méditation des mystères de la vie de son fils. Mais il y a dans ce parcours le cheminement changeant de toute une vie. La joie – la lumière – une étincelle de gloire après la passage par la Croix.
Toutefois, lorsque les lignes de l’être sont brisées, le fond du gouffre atteint, telle une oraison recueillie qu’on lui adresse, on se centre davantage sur la tendresse de sa maternité et la blessure de son cœur transpercé. La salutation angélique plus ou moins consciemment invoquée plonge dans notre présent sans indiquer le terme que nous pouvons espérer, ou imaginer.
La prière est demandée pour
« maintenant… et à l’heure de notre mort » :
en cet instant où le cœur continue de battre ;
en l’autre instant où le Seigneur me
redemandera ma vie.
Une première fois, comme en action de grâces, nous avions à redonner notre être à Dieu (étape VIII, 2), nous inscrivant alors dans la foule des ses fils… On savait bien alors qu’il y aurait par la suite un autre acte à poser. La souffrance nous rend méfiants : nous ne sommes pas sûrs de l’endroit où il nous est fait signe d’aller.
En tout cas, il faut refuser la banalisation de la prière mariale, acceptée par certains comme une sorte de calmant ou de placebo. Elle a sa grandeur propre et son sens plénier.
Avec Marie, mère de Dieu, l’ombre de la Croix est moins dense ou moins noire. Il y a davantage de lumière sur le monde et les hommes.
Chemins vers l’oraison
Annick Rousseau
Le Couronnement de la Vierge 1454
Musée Pierre du Luxembourg, Villeneuve-les-Avignon (183×220)
Merci ! Au delà de nos croix, la lumière…
La fête de l’Assomption nous fait lever les yeux vers un mystère glorieux , mais notre vie de chaque jour nous maintient dans les difficultés et parfois dans la souffrance : merci de ce cadeau du 15 Août, qui invite à nous tourner vers notre Mère ! J’ai beaucoup aimé le dessin au pastel, à la fois naïf et profond : le regard de la Vierge encore si jeune est le même que celui des icônes, tout intérieur et contemplatif.