L’APOCALYPSE… est certainement le texte de la Bible qui a inspiré à des génies divers les plus étranges et sublimes chefs-d’œuvre. Quitte à opérer un choix, nous jetterons ici un regard attentif sur ces figures inattendues, imaginées au XVème siécle sur les métiers à tisser des artisans inspirés qui ont réalisé la Tapisserie d’Angers.
Anges et monstres à travers la tapisserie d’Angers
Peu de textes bibliques se prêtent autant à l’illustration que ce dernier écrit de St Jean à Patmos, portant ce nom redouté, avant que d’être compris, engendrant toutes formes de terreurs et d’angoisses : l’Apocalypse. Livré à l’intense imagination des peintres, des graveurs, (Dürer), des sculpteurs, il peut devenir instrument de torture pour l’émotivité, l’intelligence et peupler notre imaginaire de fantasmes plus redoutables encore que les symboles johanniques.
Nous laisserons prudemment aux exégètes leur travail d’interprètes et entrerons délibérément dans la perspective de l’illustration fort célèbre de l’Apocalypse que donne à voir la grandiose tapisserie exposée dans l’antique château d’Angers. De plus, nous limiterons notre “coup d’œil” à un thème unique : la représentation des anges et des monstres, en cette fin de 15ème siècle flamboyant, à travers l’habileté de tapissiers surdoués.
On a pu dire, l’apparence le confirmerait, que les anges sont les véritables ACTEURS de la dramatique céleste, composée d’un va-et-vient permanent entre ciel et terre. Les anges sont omniprésents, serviteurs de Celui qui siège sur le trône et que Jean entend et voit en vision. Si une voix puissante assigne à chaque commencement leur tâche aux messagers divins, reste qu’ils exécutent avec empressement ce qui est dit et doit se produire : des malheurs, souvent sur une terre qui va se détruisant.
La figuration de la tapisserie est classique : les anges déploient leurs ailes multicolores en un splendide jeu de couleurs. Combien sont-ils ? des dizaines, des milliers ? des milliers de milliers ? autant de mains prêtées à Dieu, toujours entouré d’une cour céleste, attestant que le ciel n’est pas vide.
Ils sont reconnaissables,malgré quelques infidélités au texte de St Jean.
Le rôle propre des anges, le support de leurs actions.
La peinture classique,à laquelle se rattache souvent notre imaginaire de piété nous a habitué à percevoir les anges comme de doux messagers de la parole divine.Tel Gabriel, dans la scène de l’annonciation de Fra Angelico.
Et venus de Patmos, d’Angers et au fond de partout, ils nous livrent un autre message ! Certes, ils participent à la louange divine, ils chantent d’abord la gloire de leur Seigneur (Ap,v,13), mais plus que partout, ils participent à la vie et à la destruction des éléments de ce monde, participant de la “colère” de Dieu, avant que n’éclate sa victoire.
Les instruments qui permettent l’action des anges sont… à leur portée : encensoir, flacons, trompettes, livres. On croit voir monter l’encens, couler le liquide destructeur, tandis que retentit une des dernières trompettes !
L’un des anges est particulièrement important. Il tient en sa main le livre des livres que Jean doit assimiler. L’ange dit à St Jean en lui tendant le Livre…
« Prends-le et avale-le, il sera amer à tes entrailles et dans ta bouche doux comme du miel »
ainsi en est-il de la Bible, livre de Dieu.
MONSTRES ET BÊTES DE LA TAPISSERIE D’ANGERS
L’Apocalypse fourmille de monstres et de bêtes, à peine repérables pour notre perception commune. Si la forme de quelques animaux, comme les quatre chevaux, est respectée, leur couleur violente est déjà quasi surréaliste : blanc, rouge, noir et verdâtre. Le monstre central identifiable comme un dragon maléfique est de loin plus inquiétant que l’antique serpent dont il est la réplique finale. Refoulé des espaces célestes, il rôde, à la recherche de sa proie. Ici, la femme couronnée d’étoiles, double emblème de Marie et de l’Église.
La femme revêtue du soleil ↑ La Bête de la mer ↑
Dérisoire avec ses multiples têtes, il est, en soi vaincu, mais poursuit son œuvre meurtrière. Il est doublé de bêtes hallucinées, dépendant de sa puissance, guettant entre mer et terre l’adhésion d’admirateurs potentiels. Parmi ces créatures, composées d’éléments disparates, dans ce monde où tout est accompli ou doit s’accomplir, comment trouver la forme de l’homme si importante pour donner sens au cosmos ?
Les antiques tapissiers d’Angers, en écho au texte de St Jean, nous donnent une réponse visuelle. Les temps ne sont pas venus de la manifestation complète de Dieu. Lui-même siégeant sur un trône se laisse percevoir par la blancheur immaculée de ses cheveux ; on ne voit pas son visage. De même la victoire du Christ sur ses ennemis traditionnels est reconnaissable dans le symbole de l’Agneau « debout, comme immolé ».
Point après point, travail de jour et de nuit, les dizaines de mètres de la tapisserie restituent avec leur génie propre une grande partie des thèmes apocalyptiques.
Ici le simple « coup d’œil » suppose une élaboration plus approfondie où la prudence est de mise. Un jour ou l’autre, il faut dépasser les images qui sont une possibilité du texte pour intérioriser ce qui de loin nous dépasse.
Annick Rousseau
→ La tapisserie d’Angers, miniatures et citations
→ Tapisserie de L’Apocalypse d’Angers
→ À l’origine la tapisserie était composée de six pièces mesurant chacune près de 25 m de long sur 6 m de haut ; on en conserve les deux tiers aujourd’hui.
Le texte est superbe. Merci pour cette découverte!